 La théorie du double lien
L’heure de gloire de Palo_Alto, c’est la théorie du "double lien". Celle-ci est le fruit le plus manifeste de la rencontre Bateson-Erikson, bien que ce dernier n'ait jamais dit formellement qu'il y adhérait. Mais a-t-on déjà vu Erikson adhérer à une théorie ?
En thérapie, Erikson travaille à plusieurs niveaux de communication. Il dit une chose avec ses mots et en dit une autre avec son intonation ou un mouvement de son corps. Or, dit Bateson qui a lu Russel, il existe une différence de niveau logique entre une classe d'objets et les objets qui la compose; une classe est à son tour objet dans une classe de niveau logique supérieur. La classe n'est pas l'objet. Ne pas les distinguer provoque une confusion logique. De même dans la communication, le message échangé est enchâssé dans une métacommunication, qui est une communication sur la communication.
Une mère peut dire à son fils : "J'espère que tu es heureux de ce cadeau" avec une voix chaude et un large sourire. Ouvrant des bras accueillants, elle est déjà prête au baiser de remerciement. Sa métacommuncation non verbale est congruente: l'objet (les mots) est bien dans sa classe (le contentement maternel global); son corps qualifie ses mots.
Mais si elle envoie le même message verbal, avec une voix aigre, les pupilles rétrécies et les poings crispés, sa métacommunication n'est pas congruente: l'objet (les mots) n'est pas dans sa classe (le contentement maternel global); son corps disqualifie ses mots.
D'autre part l'enfant n'a pas la possibilité de commenter ce qu'il observe. Il n'a pas appris ou il n'a pas le droit de dire à sa mère:"Mais maman, tu me demandes si je suis heureux de ce cadeau. Je l'étais mais je ne comprends pas pourquoi ton corps me manifeste de l'hostilité. Je suis troublé. Je n'arrive pas à te répondre. Peux-tu m'expliquer ce qui se passe?" L'enfant est pris dans un double "lien".
Il y a donc plusieurs niveaux d'abstraction dans la communication. Niveau 1: la communication verbale. Niveau 2: la communication non verbale sur la première. Niveau 3: la communication sur la congruence des deux premiers niveaux. Il n'y a aucun moyen de sortir d'un double lien sans passer au niveau 3 parce que c'est là qu'a été noué le lien. L'impossibilité de communiquer à ce niveau 3 transforme en "double lien" ce qui n'étais encore que contradiction entre les deux précédents registres de communication.
Le groupe de Palo-Alto a d'abord fait de la répétition des doubles liens dans l'enfance la cause de la schizophrénie...Plus tard, le groupe de Palo-Alto a relativisé cette première théorie en faisant du double lien une cause nécessaire mais non suffisante au développement du trouble. En fait les doubles liens dépassent le cadre de la schizophrénie. On retrouve leurs effets toxiques partout dans la communication humaine.
Ainsi, un mari dit à sa femme déprimée pour la réconforter: "Chérie, ça m'est égal que les problèmes ne soient pas résolus du moment que tu vas bien". La femme sent alors monter en elle une forte colère très culpabilisée, puisque son mari lui a parlé si gentiment. Elle n'arrive pas à répondre quoi que ce soit. On peut savoir que vient de recevoir un double lien quand on ressent, dans un échange, cette paralysie soudaine et pénible de la pensée.
Le traitement est simple: communiquer sur la communication. Dans ce cas, j'ai écrit la phrase au tableau devant le couple. "Que les problèmes ne soient pas résolus" n'est pas du même niveau que "aller bien": c'est un ordinateur ou un gestionnaire qui parle. "Aller bien" c'est un sentiment, un état d'âme. Si, au plan rationnel, les problèmes ne sont pas résolus, au niveau affectif, elle ne pourra qu'aller mal. En remettant de l'ordre logique, la phrase devient: "Chérie, ça m'est égal que tu ailles mal du moment que tu vas bien." Ajouter une intonation affectionnée, et vous comprendrez comment on peu devenir fou avec des doubles liens.
L'entraînement au repérage des doubles liens dans la communication est une mesure prophylactique d'hygiène mentale.
Le double lien pathogène s'oppose au double lien thérapeutique d'Erickson que vous m'avez vu manier, et que la théorie de Russell-Bateson éclaire tout autant. Celui-ci provoque aussi une confusion de niveaux logiques, mais qui est de la même sorte que les paradoxes de l'humour. Rendre confus, c'est rebattre un jeu de carte mal distribué, pour donner une chance d'acquérir un point de vue nouveau sur son problème.
(Psychologie dynamique, les thérapies brèves, par Dr Dominique Megglé, éditions Retz)
Venir faire la paix avec un couteau entre les dents, dire vouloir une chose et parmi un vaste choix d'autres possibles, afficher le seul comportement incompatible à sa réalisation ...peut-être "bien conseillé par un ami" qui saura vous réconforter de ce sabotage programmé. Ces messages contradictoires qui créent la confusion et donc inhibent la confiance et l'engagement, sont une véritable plaie de la communication quand ils ne pas employés, comme indiqué ci-dessus, dans les seuls registres où ils ont toute leur place : les paradoxes de l'humour et la psychologie dynamique habilement distillée par des experts.
"Nos problèmes proviennent bien souvent des solutions que nous croyons leur proposer."
(Watzlawick) 
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